Le ministre soviétique des Affaires étrangères Viacheslav Molotov signe le pacte germano-soviétique tandis que le dirigeant soviétique Joseph Staline (en uniforme blanc) et le ministre allemand des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop (derrière Molotov) regarde. Moscou, Union soviétique, 23 août 1939. National Archives and Records Administration, College Park, MD, l’Encyclopédie de l’Holocauste

8 mai 2025

En ce jour du 8 mai, je m’associe pleinement à la tribune publiée dans Le Monde par un collectif d’historiens européens qui dénonce la falsification de la Seconde Guerre mondiale orchestrée par le Kremlin, et tout particulièrement par Vladimir Poutine. Il est essentiel, plus de 80 ans après la guerre, de rappeler les faits. L’un d’entre eux, majeur, est aujourd’hui au cœur des tentatives de manipulation historique : en 1939, c’est l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler qui a déclenché la guerre en attaquant la Pologne. L’Union soviétique, de son côté, a signé avec l’Allemagne le pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop, comprenant un protocole secret de partage territorial, avant d’envahir la Pologne à son tour, le 17 septembre 1939. Tenter d’inverser ces responsabilités, comme le fait aujourd’hui Moscou, est une falsification manifeste.

La tribune parue dans Le Monde alerte contre « les falsifications historiques massives venant de Moscou » et insiste sur le fait que la Russie de Poutine « instrumentalise la mémoire de la Seconde Guerre mondiale pour justifier l’invasion actuelle de l’Ukraine », notamment par l’accusation mensongère d’un État ukrainien fasciste à « dénazifier ». Comme le rappellent les signataires, « la version officielle russe selon laquelle la guerre aurait été provoquée par la Pologne est totalement fausse ». Cette stratégie ne vise pas seulement à réécrire le passé : elle sert à légitimer le présent, en niant à l’Ukraine son droit d’exister comme nation souveraine.

L’enjeu est donc double : il s’agit, pour le Kremlin, de délégitimer la responsabilité du nazisme dans l’origine de la Seconde Guerre mondiale, afin de promouvoir un récit alternatif où les régimes totalitaires seraient disculpés au profit d’une mise en accusation des démocraties occidentales. Cette falsification, si elle ne vise pas directement le conflit ukrainien, s’inscrit dans une stratégie plus vaste de réécriture des origines des deux guerres mondiales, destinée à affaiblir les fondements moraux et historiques de l’ordre international issu de 1945.

Cette entreprise trouve ses racines dans le révisionnisme américain de l’entre-deux-guerres, un courant intellectuel qui cherchait à minimiser la responsabilité allemande dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Ce mouvement, structuré autour de l’historien Harry Elmer Barnes, va, après 1945, dériver vers une falsification de l’histoire, tendant à disculper Hitler lui-même. Barnes devient alors le mentor et promoteur de David L. Hoggan, figure emblématique de ce basculement.

Dans The Forced War (1961), Hoggan soutient que ce sont la Pologne et le Royaume-Uni, et non l’Allemagne nazie, qui portent la responsabilité du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il y dépeint Hitler comme un homme de paix, manipulé ou acculé par les puissances occidentales. Cette thèse, rejetée par la communauté historienne, a suscité une vive controverse dès sa parution. J’y consacre un chapitre entier dans mon premier ouvrage, Les idées fausses ne meurent jamais… Le négationnisme, histoire d’un réseau international, où j’examine en détail la construction intellectuelle de cette inversion accusatoire et son inscription dans une entreprise idéologique plus large. Publié en Allemagne par Druffel Verlag, un éditeur néonazi, l’ouvrage de Hoggan marque un tournant : celui de l’instrumentalisation de l’histoire à des fins de réhabilitation du nazisme.

Mais Hoggan n’était pas seul, et ne s’est pas arrêté là. Il est ensuite devenu un véritable idéologue négationniste, niant l’existence de la Shoah et parlant d’un « mythe des six millions ». Son œuvre a influencé d’autres auteurs d’extrême droite à l’international, notamment aux États-Unis, en France, en Allemagne ou encore en Italie. Plusieurs de ses allégations sont reprises dans les discours conspirationnistes affirmant que la Seconde Guerre mondiale aurait été un complot ourdi par les Juifs et les bolcheviks pour détruire l’Allemagne.

C’est là que se rejoignent, aujourd’hui, la rhétorique négationniste et les récits propagandistes du Kremlin. Blanchir Hitler et accuser la Pologne, minimiser les crimes du Troisième Reich, présenter les nazis comme des victimes ou des acteurs rationnels : cette construction historique perverse sert à transférer la culpabilité vers les ennemis contemporains de la Russie – l’Ukraine, les démocraties occidentales, et bien sûr les institutions juives, accusées de mensonges. Il n’est donc pas exagéré de dire que la propagande russe actuelle flirte avec les logiques négationnistes les plus radicales.

Le 8 mai est une date qui nous oblige. Elle marque la victoire sur le nazisme, mais aussi la nécessité, sans cesse renouvelée, de défendre la vérité historique. La falsification du passé n’est jamais neutre : elle prépare les violences politiques de demain. Et, je crois plus que jamais à l’urgence d’une vigilance critique face aux discours trompeurs. Car l’histoire n’est pas une arme entre les mains des puissants : elle doit être un outil de compréhension, au service de la démocratie.