Le Monde

9 février 2017

 

« C’est avec un cœur lourd et un esprit sombre que nous honorons et nous nous rappelons des victimes, les survivants, les héros de l’Holocauste. Il est impossible de véritablement comprendre la dépravation et l’horreur infligées aux innocents par la terreur nazie. » C’est par ces mots que le Président des Etats-Unis, Donald Trump a choisi de commémorer la journée internationale de l’Holocauste, le 27 janvier dernier.  Or, il s’agit là d’une grave déclaration car elle passe sous silence la spécificité juive du génocide nazi, comme l’a d‘ailleurs remarqué le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem qui a réagi par voie de communiqué, rappelant que la Shoah, crime perpétré par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs a vu sur une courte période, 6 millions de juifs assassinés, et qu’elle constitue en ce sens, un génocide sans précédent. Cette mise au point était des plus nécessaires, car les propos de Donald Trump, loin d’être anodins, sont inquiétants à plusieurs égards.

 

Des propos dangereux mais qui ne sont pas du négationnisme

Suite à ces critiques, le porte-parole de l’Administration a justifié les propos du président en expliquant que « tout le monde avait souffert de l’Holocauste, y compris les Juifs ». Pourtant, et meme si la phrase incriminée a été sortie de son contexte, puisque ailleurs dans le communiqué, le porte-parole faisait allusion à la spécificité du génocide juif, il reste qu’il s’agit là d’une  rhétorique inclusive inacceptable.

Quelques jours après ces faits, l’historienne américaine et spécialiste du négationnisme, Déborah Lipstadt, réagissait également contre les propos de Trump dans un article publié le 30 janvier dernier dans The Atlantic, estimant qu’ils relevaient du négationnisme « soft ». L’incrimination dite dans ces termes, n’est à mon avis pas justifiée. Car le négationnisme, trop souvent galvaudé dans sa définition, se doit d’être bien défini pour pouvoir mieux le combattre.  Le négationnisme, c’est à la fois la négation du crime – le génocide des Juifs – et la négation de l’arme du crime – les chambres à gaz -, avec bien sûr, des nuances et des degrés chez les négationnistes. Outre celle de la Shoah, on peut aussi parler de négation du génocide des Arméniens, des Tutsis, des Cambodgiens.

Les termes du Président américain s’inscrivent dans la volonté de déjudaïser le génocide nazi et le banaliser, mais il ne s’agit pas ici de négationnisme. Y recourir pour décrire le malaise que les mots de Trump ont engendré, crée la confusion et fait obstacle à un combat efficace contre le négationnisme et contre la banalisation.

 

La banalisation de la Shoah

Dans son discours durant la journée internationale de l’Holocauste, les propos de D. Trump ont plutôt traduit une des formes que revêt la banalisation de la Shoah. Car il en existe en effet plusieurs. La première, légitime, consiste à « normaliser » le génocide des Juifs, à lui retirer son aspect sacré pour pouvoir mieux l’historiciser. Les autres sont à proscrire car elles renvoient à la trivialisation, et à la minimisation du génocide des Juifs. Qu’il s’agisse de déjudaïser le génocide nazi comme l’a fait Trump dans son discours, de comparer les crimes pour minimiser le génocide des Juifs, d’amalgamer, en faisant passer Israël pour un pays nazi dont les victimes seraient les Palestiniens, de profaner les lieux de mémoire pour en ôter le souvenir, ou railler les Juifs qui « font tout un plat » de leur Shoah, appartiennent à cette banalisation.

Mais si cette dernière est à distinguer du négationnisme, elle est tout aussi tendancieuse. C’est en ce sens que les propos de Trump apparaissent dangereux. Doit-on réellement s’en étonner, quand on voit ceux qui l’entourent, proches de l’extrême droite, comme Stephen Bannon que D. Trump a nommé au poste de conseiller spécial de la nouvelle équipe présidentielle ? S. Bannon n’est autre que l’ancien patron de l’agence de presse Breitbart News, l’un des médias les plus extrémistes, racistes, antisémites, et xénophobes du pays.

Banaliser autorise à mettre sur un soi-disant pied d’égalité les différents crimes, avec comme effet pervers : minimiser le génocide des Juifs. La comparaison, en histoire, est nécessaire. Néanmoins, tout comme chaque génocide est spécifique en soi, il y a une spécificité juive au génocide nazi – même si nous prenons également en compte les persécutions contre les homosexuels, les Tziganes et les Communistes. Il est vrai que la banalisation constitue un tremplin vers le négationnisme. Beaucoup de ceux qui soutiennent les négationnistes sont d’abord passés par la banalisation. Il reste cependant difficile de taxer les propos de Donald Trump de négationnistes.

Si l’Europe s’est battue, depuis des décennies, pour une reconnaissance de la spécificité juive du génocide, la pratique qui consiste à l’extirper du génocide nazi est courante dans les pays d’Europe de l’Est où certains politiciens brandissent le concept de « double génocide » : le génocide nazi et le génocide stalinien.

 

A l’heure où les pays de l’Est doivent faire face à cette banalisation, il est particulièrement désolant de voir le Président américain tenir de tels propos. Tandis que D. Trump se présentait comme l’ami d’Israël, et mettait en avant sa famille juive, le nouveau locataire de la Maison Blanche se plaît à parler un double langage, à entretenir le flou. Une sorte de double je, qui lui permet de brosser le peuple juif dans le sens du poil en annonçant le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, tout en nommant à des postes-clés de son administration des personnalités d’extrême droite et en déjudaisant le génocide nazi. Il semble évident qu’il faille à l’avenir, se montrer très méfiant et vigilant à son égard.

 

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