L’homme de la cave : Un thriller glaçant sur le négationnisme

Le film « L’homme de la cave » de Philippe Le Guay, sorti en 2021, nous plonge dans les eaux troubles du négationnisme, un sujet particulièrement délicat à aborder dans une œuvre de fiction. Ce thriller psychologique, inspiré d’une histoire vraie, a récemment été diffusé en streaming sur France TV et demeure accessible sur diverses plateformes gratuites. L’occasion nous est ainsi offerte de nous pencher sur cette œuvre qui explore avec une remarquable justesse les mécanismes pervers du négationnisme et ses conséquences dévastatrices sur le tissu social.

L’intrigue se noue autour d’un couple qui vend sa cave à un certain M. Fonzic (François Cluzet), un homme d’apparence ordinaire. La situation bascule lorsque l’acheteur, un ancien professeur d’histoire, récemment renvoyé de l’éducation nationale et à la rue, s’y installe et refuse obstinément de partir, dévoilant peu à peu ses convictions négationnistes aux habitants de l’immeuble.

L’histoire s’inspire d’un fait réel survenu au début des années 2000 à Paris, impliquant un couple d’amis du réalisateur. Le film, par souci de protection des personnes réellement impliquées, ne donne pas plus de détails sur l’affaire. Mais dans la réalité, le négationniste notoire est le fondateur d’une association néonazie, créateur d’un site web influent en Europe et éditeur d’ouvrages négationnistes dont ceux du français récemment extradé Vincent Reynouard. Ce dernier, enseignant de mathématiques, se considère visé par le film, bien que le personnage dans le film soit un professeur d’histoire.

Le film prend d’ailleurs quelques libertés avec la réalité, notamment en présentant le personnage principal comme un professeur d’histoire. Ce choix scénaristique, bien que discutable, soulève une question importante : en réalité, aucun historien français reconnu ne défend de telles thèses. Les figures du négationnisme français, comme Robert Faurisson ou Vincent Reynouard, ne sont pas historiens, ni professeurs d’histoire. Cette liberté prise par le scénario aurait pu être évitée pour mettre en lumière l’incompatibilité fondamentale entre la rigueur de la méthode historique et la négation de la Shoah.

 

Un thriller sur les mécanismes pervers du négationnisme

Au fil de l’intrigue, le spectateur est progressivement immergé dans les méandres du négationnisme, dont les ressorts ont été minutieusement analysés dans mes ouvrages. Cette idéologie extrémiste ne se contente pas de nier les faits historiques et juridiquement établis sur le génocide des Juifs ; elle s’attaque systématiquement à l’arme du crime, à la scène du crime et au mobile même du génocide. Plus qu’une simple négation, le discours négationniste élabore un récit fictif alternatif, tentant de réécrire l’histoire à sa convenance.

Le film met également en lumière la dimension internationale du négationnisme, reflétant avec acuité la réalité d’un réseau transnational que j’ai pu étudier en profondeur dans mon premier livre. Ce réseau, qui transcende les clivages politiques traditionnels, rassemble des extrémistes tant de droite que de gauche. Les années 1990-2000 ont vu l’émergence d’une dizaine d’associations internationales regroupant des négationnistes du monde entier. Ces organisations ont déployé un arsenal de moyens : création de revues, fondation de maisons d’édition, organisation régulière de conférences et d’événements. Cette quête effrénée de respectabilité et de prétendue « vérité » est capturée dans le film, illustrant la dangereuse séduction que peut exercer ce discours.

François Cluzet livre une performance saisissante dans le rôle du négationniste. M. Fonzic, avec une insidieuse habileté, s’efforce de persuader la fille du couple que lui seul détient la vérité, insinuant que ses parents, la société tout entière et le système en place ne font que la tromper. À travers ce personnage, on voit se dessiner les traits caractéristiques de figures réelles du négationnisme, telles que Robert Faurisson. Leur présence fantomatique plane sur le film, donnant à l’œuvre une dimension troublante d’authenticité.

Le film illustre avec justesse plusieurs mécanismes caractéristiques du discours négationniste que j’ai identifiés dans mes recherches. On y retrouve ce que j’ai nommé la « logique du prophète » : le négationniste se pose en révélateur d’une vérité cachée, prétendant apporter de « bonnes nouvelles » au grand public. Cette posture s’accompagne du « syndrome de Galilée » : à l’instar du célèbre astronome, le négationniste se perçoit comme un savant persécuté, censuré pour avoir osé défier le dogme établi, convaincu que l’histoire lui donnera raison. Parallèlement, une « logique victimaire » imprègne le discours du personnage. Il se présente comme la cible d’un système oppressif cherchant à étouffer sa voix, alimentant ainsi un profond sentiment de persécution. Enfin, l’antisémitisme, pierre angulaire du négationnisme, transparaît de manière croissante au fil du récit. Dissimulé initialement derrière la façade d’un simple « chercheur de vérité », il se révèle progressivement comme le moteur véritable de cette idéologie pernicieuse.

 

Les ressorts du négationnisme dans un microcosme social

L’immeuble devient un véritable microcosme de la société, où chaque personnage incarne une réaction différente face à cette situation : de la colère à l’approche juridique, en passant par la dangereuse tentation du débat et la manipulation insidieuse des plus jeunes. Le film illustre avec justesse comment le négationnisme peut réveiller des préjugés latents et bouleverser les identités, créant une véritable catharsis collective autour des questions d’origine et d’identité juive. En effet, la présence de M. Fonzic dans l’immeuble libère un antisémitisme latent chez certains voisins, soulignant le lien étroit entre négationnisme et antisémitisme.

« L’homme de la cave » soulève des questions cruciales sur la lutte contre ces idées toxiques, particulièrement auprès des jeunes générations. La scène de la gifle du père à sa fille, bien que émotionnellement intense dans le contexte tendu du thriller, rappelle l’importance primordiale du dialogue et de l’éducation face à ces théories. Le film souligne la nécessité d’apprendre aux jeunes à naviguer sur internet de manière critique, en comprenant notamment le fonctionnement des algorithmes qui peuvent les enfermer dans des bulles informationnelles dangereuses. Sur le plan juridique, le long-métrage rappelle opportunément que le négationnisme est un délit en France. Cette approche s’inscrit dans un mouvement international plus large, l’ONU ayant appelé ses États membres et les géants du web à prendre des mesures concrètes contre l’antisémitisme et la négation de la Shoah, particulièrement sur internet.

La sortie du film a, sans surprise, provoqué des remous dans les milieux négationnistes. Vincent Reynouard, figure notoire du négationnisme français, s’est empressé de s’approprier le sujet, prétendant que le film était inspiré de son histoire personnelle. Cette manœuvre, loin d’être anodine, illustre parfaitement la stratégie victimaire récurrente des négationnistes. Sur le réseau social Minds, Reynouard, qui se revendique ouvertement national-socialiste, a poussé plus loin sa rhétorique en affirmant que le film dévoilait « la haine des Juifs envers les négationnistes » et leur prétendue violence. Ce retournement pervers de la réalité, où l’agresseur se pose en victime, est une tactique bien connue. Plus inquiétant encore, Reynouard a lancé un appel aux historiens et professeurs d’histoire, les invitant à débattre avec lui sur le sujet. Face à de telles sollicitations, la position à adopter est sans équivoque : le refus catégorique de tout débat. Comme le soulignait avec pertinence l’historien Pierre Vidal-Naquet, « un astronome ne discute pas avec un astrologue ». Cette analogie percutante met en lumière l’absurdité et le danger de donner une tribune, même contestataire, à des thèses qui n’ont aucun fondement scientifique ou historique. Engager le dialogue avec les négationnistes reviendrait à légitimer leurs propos et à placer sur un pied d’égalité la rigueur historique et les élucubrations idéologiques.

« L’homme de la cave » réussit à traiter un sujet complexe à travers le prisme du thriller psychologique. En montrant comment le poison du négationnisme peut s’infiltrer dans un microcosme social apparemment banal, le film de Philippe Le Guay nous alerte sur les dangers de cette idéologie pernicieuse. Le négationnisme cherche à mettre à mal le lien social. Le film nous invite à rester vigilants face aux formes contemporaines que peut prendre le négationnisme et à réaffirmer sans relâche l’importance de la vérité historique face aux tentatives insidieuses de réécriture du passé.

 

Stephanie Courouble-Share

Le négationnisme : Histoire, concepts et enjeux internationaux (w/ Gilles Karmasyn, Eyrolles, 2023)

Les idées fausses ne meurent jamais… Le négationnisme, histoire d’un réseau international (Le Bord de l’eau, 2021)