(Photo amazon-presse)

 

Huffington Post (France)

3 mars 2017

 

Il m’a fallu quelques heures à surfer dans le département « livre » du site Amazon, pour constater que ce géant américain de la vente en ligne est infesté d’ouvrages négationnistes. Il s’agit de livres qui nient le crime – le génocide des Juifs – et l’arme du crime – les chambres à gaz. Leurs auteurs évoquent une « rumeur », celle de la Shoah, propagée par les historiens (juifs), les survivants, les Alliés et Israël. Tandis que le chiffre de six millions de Juifs morts est revu à la baisse, voire nié par ces auteurs, les chambres à gaz n’auraient pas existé, expliquent-ils, si ce n’est pour désinfecter les déportés dans les camps de concentration.

 

Les négationnistes sur Amazon

Sur une recherche de plus d’une vingtaine d’auteurs négationnistes internationaux, disparus ou vivants, on trouve plus de 100 ouvrages et autres publications négationnistes vendus sur amazon.com. Cette boutique virtuelle constitue pour eux une vitrine, qui leur permet de véhiculer leurs idéologies où se mêlent antisémitisme et antisionisme. La compagnie américaine se défend, expliquant que la loi européenne lui interdit de vendre des ouvrages négationnistes. Pourtant, les auteurs négationnistes se retrouvent en nombre important sur les sites Amazon de tous les pays de l’Union.

Si l’on cherche, par exemple, le nom de Carlo Mattogno, négationniste italien, on trouvera de nombreux ouvrages et articles répertoriés sur Amazon.com. Et le constat est le même sur amazon.it alors que le négationnisme est illégal en Italie, comme dans la plupart des pays européens.

 

Le problème du Premier Amendement ?

Des appels au boycott du site se sont d’ores et déjà fait entendre. Est-ce vraiment la solution ? Faut-il interdire les ouvrages négationnistes sur Amzon.com ? Alors que la loi européenne est claire, et devrait être respectée, le Premier Amendement aux Etats-Unis ne leur interdit pas de les publier, mais laisse le choix. Comme cela a été le cas avec le négationniste américain Bradley Smith qui, dans les années 1990, souhaitait publier dans des journaux des campus américains ; certains campus ont accepté au nom du Premier Amendement, alors qu’ils auraient pu tout aussi bien refuser.

Le PDG et vice-président de World Jewish Congress, Robert R. Singer, a soulevé la question la semaine dernière: « Ce n’est pas un problème du Premier Amendement. On ne peut pas légalement interdire à Amazon de vendre du matériel négationniste, mais il peut et devrait choisir de ne pas le faire. Les librairies ont longtemps refusé de diffuser certains articles, la pornographie étant un excellent exemple. Le déni de l’Holocauste n’est pas différent, juridiquement parlant, de la pornographie » (Cf.).

A l’inverse de ce qu’affirme Robert R. Singer, des ouvrages pornographiques figurent bel et bien sur Amazon.com, mais signalés par la mention « Adultes ». Là, serait peut-être une première avancée: notifier les ouvrages négationnistes. L’accès aux ouvrages pourrait s’en trouver facilité, mais cela lèverait toute ambiguïté.

 

Des livres négationnistes retirés d’Amazon

La semaine dernière, Robert Rozett, le directeur de la bibliothèque de Yad Vahsem, a envoyé un email au PDG d’Amazon, Jeff Bezos, lui demandant de supprimer les livres des sites. Il faut se réjouir de la bataille lancée par Yad Vashem pour interdire les ouvrages négationnistes trop longtemps laissés en vente libre. C’est une liste de ces livres négationnistes, envoyée il y a quelques jours à Amazon.com qui a déjà permis d’en supprimer quelques-uns. Résultat: des auteurs connus pour être des négationnistes notoires, dont les titres des ouvrages ne laissent aucun doute sur leurs intentions, ont été retirés de la vente. Par exemple, Le mythe des 6 millions de David L. Hoggan, un historien américain négationniste, n’est plus sur Amazon.

Puis, y figuraient également des ouvrages plus récents, peu connus, et dont les titres ne permettent pas d’identifier les auteurs en tant que négationnistes, mais qui distillent le doute sur la réalité de l’histoire. C’est le cas de Debating the Holocaust: A New Look At Both Sides (Débattre sur l’Holocauste: un nouveau regard sur les thèses en présence), d’un soi-disant universitaire, Thomas Dalton (Docteur). Par un titre ambigu, la maison d’édition cherche à cacher le fait qu’elle est dirigée par Germar Rudolf, un négationniste néo-nazi allemand. La mise en avant des qualifications des auteurs (un docteur, un juge, un ancien témoin des camps…) sur les couvertures des livres est également une pratique courante chez eux, dans le but d’apporter un crédit supplémentaire à leurs ouvrages et de se légitimer. Les clients d’Amazon sont alors susceptibles de se laisser prendre à ce jeu dangereux. Mais depuis le 8 mars, Amazon.com a supprimé cet ouvrage.

Autre exemple d’un auteur inconnu négationniste qu’on ne retrouve plus depuis le 8 mars sur Amazon:(Cf.). On les retrouvait en plus grand nombre (une centaine environ) à la rubrique: « Holocaust Handbooks », mais depuis ce 8 mars, plus aucun auteur négationniste dans cette section. Il s’agit d’une décision d’Amazon dont on ne peut que se réjouir.

 

Les ouvrages négationnistes toujours en vente sur Amazon

Par contre, les ouvrages négationnistes sont toujours recensés sous la catégorie: « History, World » (Monde, Histoire), ou encore « Litterature, Fiction » (Littérature, Fiction). Et ce, sans aucune distinction avec les ouvrages d’histoire sur la Shoah, alors qu’une simple séparation pourrait être effectuée. Même constat sur le site français Amazon.fr, où les ouvrages du « célèbre » négationniste français, Robert Faurisson, sont catégorisés dans la rubrique: « Livres, Histoire, Grandes Périodes de l’Histoire », alors que le négationnisme est illégal en France.

Et ce n’est pas tout. Les négationnistes utilisent le site à des fins encore plus pernicieuses: créer une page de commentaires pour tous les ouvrages traitant de l’Holocauste, « Holocaust History channel ». Ainsi, ils peuvent écrire des appréciations sur les livres, faisant l’éloge des ouvrages négationnistes et dénigrant ceux des historiens (Cf.).

Un dernier constat est à effectuer: le conspirationniste n’est souvent pas très loin quand le négationnisme est présent. Les clients ayant acheté des ouvrages négationnistes ont également fait l’acquisition de livres conspirationnistes sur les attentats du 11 septembre et sur les origines de l’EI, qui aurait été créé par Israël et les Etats-Unis.

 

Une partie de l’iceberg

Les livres négationnistes sur Amazon ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il existe d’autres sites, comme iBookstore, et d’autres points de vente, comme la grande librairie américaine Barnes & Nobles, où l’on peut se procurer quelques livres négationnistes (Cf.)

Sans oublier des sites comme Archive.org, utilisé par les négationnistes pour diffuser livres et vidéos. Ou encore, les bibliothèques universitaires américaines. Par exemple, dans la bibliothèque du département d’histoire de l’université de Columbia, les auteurs négationnistes sont placés sur les mêmes étagères que les ouvrages d’historiens, alors qu’une simple différence de classification permettrait de les séparer géographiquement et d’avertir le lecteur sur les intentions de l’ouvrage.

Ce problème de catégorisation se retrouve également dans la bibliothèque du Congrès, à Washington. Au sein de cette bibliothèque fédérale la plus vaste du monde, certains auteurs négationnistes ne sont pas qualifiés comme tels. L’œuvre du négationniste allemand, T. Christophersen, est répertoriée dans les bibliothèques américaines non pas sous le terme de « négationnisme », mais par les mots-clés « récits personnels, Allemand, Holocauste, Juifs (1939-1945) », et ce, parce que l’auteur était un technicien SS affecté au travail du caoutchouc au camp d’Auschwitz de janvier à décembre 1944, alors qu’il a aussi été un activiste néonazi après la guerre. Il s’agit d’une erreur considérable, qui demanderait toute notre attention.

Cette bataille est sans fin! C’est une perte de temps que de penser que nous arriverons à bannir tous les livres négationnistes de l’espace public américain, et partout dans le monde – via Internet -, alors que l’éducation devrait être notre seule préoccupation. Néanmoins, le retrait de quelques ouvrages du site d’Amazon est une première, qu’il nous faut considérer comme positive. Au nom de la liberté d’expression, nous avons accordé une trop grande publicité aux négationnistes, apportant un danger extrémiste et entraînant une mise en doute de l’Histoire, auprès des jeunes générations.

 

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