(Photo unsplash / Erica Magugliani)

 

Israël actualités

9 juin 2014

Nous sommes allés à la rencontre du Docteur Courouble Share qui est historienne. Elle a écrit une thèse sur le négationnisme international dans l’espace public, sous la direction de Pierre Vidal-Naquet, une analyse comparative de l’émergence du phénomène dans plusieurs pays : France, Angleterre, Allemagne, Etats-Unis et Canada. Elle travaille actuellement à la publication d’un livre sur le sujet. Elle est chercheure associée à l’Institut d’histoire du temps présent IHTP-CNRS, de Paris, et The Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy (ISGAP) de New York. De plus, Stéphanie Courouble Share qui réside en Israël, interviens sur le négationnisme et plus régulièrement auprès de professeurs francophones dans les séminaires de l’École Internationale pour l’enseignement de la Shoah à Yad Vashem à Jérusalem.

1°) Question d’Yvan Lellouche :

Vous êtes une spécialiste dans le domaine du négationnisme et l’auteur d’un ouvrage sur la question, Vue d’Israël, comment analysez vous la montée de ce phénomène en Europe et en France en particulier ?
Travaillant sur le sujet depuis de nombreuses décennies et ayant voyagé dans beaucoup de pays afin d’analyser le négationnisme, mon regard n’est pas seulement celui d’Israël. De plus, le négationnisme ne doit pas se regarder comme un phénomène particulier à l’Europe ou à la France, il est international. Les négationnistes se côtoient depuis de nombreuses années, se retrouvent à des conférences annuelles. Les dernières grandes conférences de négationnistes se déroulaient en Iran et les financements sont également iraniens. Cela dit, le négationnisme doit s’observer dans des phénomènes plus larges d’antisionisme, d’antisémitisme, de théories conspirationnistes diverses. Mark Weber, le directeur de l’ « Institute for Historical Review » (IHR), l’institut américain qui regroupe les négationnistes internationaux, expliquait en 2009 que « le succès du révisionnisme est faible » ; que les ouvrages antisionistes et les critiques sur Israël, se vendaient mieux qui ceux sur le négationnisme et que la vraie bataille est contre le pouvoir judéo-sioniste où le « révisionnisme » n’a pas sa place, car il a montré qu’il ne pouvait pas réussir à le vaincre1. Ses propos provoquèrent un tollé de réactions chez ses acolytes2 : il sonne le glas du négationnisme et annonce l’échec actuel du phénomène à s’ancrer dans l’espace public. Effectivement, sur ces points, nous pouvons donner raison à M. Weber. Incontestablement, le négationnisme décline de nos jours, ou plutôt, il se modifie politiquement et se délégitime, l’antisionisme gagne du terrain. Néanmoins, l’analyse du directeur de l’IHR est bien rapide, l’antisionisme est intrinsèque au négationnisme, il ne l’a pas remplacé tel que le pense M. Weber, au contraire, il a permis au négationnisme de se légitimer depuis de nombreuses décennies, et ainsi de cacher son antisémitisme. Cependant, cet antisionisme prend une place primordiale dans le négationnisme, la conférence Internationale de négationnistes en Iran en 2006 en est l’archétype. Dorénavant, le phénomène est associé aux combats de l’Orient contre l’Occident, l’antisionisme devient son premier cheval de bataille.

Dieudonné s’insère progressivement dans cette sphère négationniste où l’histoire serait écrite par un pouvoir judéo-sioniste. En septembre 2009, en présentant à son spectacle au Zénith le négationniste français, R. Faurisson qu’on retrouve dans des réunions néo-nazies en Allemagne3, Dieudonné s’affiche ouvertement négationniste. « Shoah nanas », sera la cerise sur le gâteau car mélangeant humour et négationnisme, il fait « oublier » à certains de ses fans l’aspect idéologique qui se trame derrière.
L’inquiétude grandit. Je constate lors des séminaires que je donne auprès de professeurs francophones venant d’Europe que depuis quelques années, ils sont de plus en plus désemparés vis-à-vis d’une parole antisémite et négationniste libérée et affirmée sans tabou. Il s’agit d’un point important : un tabou s’est levé. Ils n’ont plus honte à être antisémites. Les crimes sont niés, tant celui du génocide des Juifs que celui des enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, afin de critiquer le complot judéo-sioniste qui manipulerait le « système ».

2) Pensez vous que la montée des extrêmes en Europe et en France est irréversible?

Tout d’abord, la situation est grave dès lors que des personnes – de surcroît des enfants – sont agressées, tuées parce que Juifs. Ensuite, lorsqu’on observe, plus distinctement depuis quelques années, des rapprochements d’auteurs issus d’extrême gauche, d’extrême droite et d’Islam radical avec un ennemi commun : les « sionistes », c’est-à-dire les Juifs, il s’agit d’un rassemblement d’extrêmes inquiétant. De là à dire que c’est irréversible, je ne sais pas. Je ne suis pas devin. Néanmoins, je suis de nature positive et j’espère un sursaut citoyen.

3) A quoi attribuez vous cette augmentation des actes a caractère antisémite ?

A mon avis, il faudrait confirmer les chiffres avant de parler d’augmentation des actes antisémites. La situation n’est certes pas bonne, mais d’une, nous ne sommes pas dans un retour des années 30 ; deux, il existe une course médiatique à la fausse information qui me dérange. Je trouve que des pseudo-journalistes des réseaux sociaux propagent trop rapidement des histoires d’agressions antisémites sans vérification des sources. Cela nuit à la réalité d’une situation. Au-delà de cette difficulté, le problème me semble ailleurs. Une peur, légitime, de vivre son judaïsme en toute liberté s’est installée en Europe. Cette peur devrait être combattue par tous comme un problème national voir international.

Je pense qu’il est trop facile de croire que la crise économique et le conflit israélo-palestinien expliquent ces actes antisémites. La parole a été libérée. Il est difficile de trouver une seule cause rationnelle à des actes de haine qui relève du pathologique. Il me semble qu’il faudrait des gardes de psychologues dans de nombreuses rues.

4) Pensez que cela est du a l’émigration maghrébine ou a d’autres?

Il y a plus de dix ans, j’enseignais l’histoire et la géographie dans un lycée juif de la banlieue parisienne. Les élèves me parlaient déjà d’insultes, d’agressions d’Arabes envers eux. Je ne connais pas la situation maintenant. Mais, il y a un problème qu’on ne doit pas nier. Il me semble que l’une des meilleures initiatives est celle du Bus de l’amitié. « Depuis 2005, le « Bus de l’Amitié judéo-musulmane » sillonne une fois par an la France à la rencontre de sa population et propose d’engager le dialogue entre juifs et musulmans afin de parvenir à une meilleure connaissance des communautés juives et musulmanes, de leurs modes de vie respectifs et de leurs préoccupations ». Honnêtement, je ne vois pas de meilleure solution.

Il y a quelques jours, suite au terrible attentat à Bruxelles, le Conseil français du culte musulman a publié une «Convention Citoyenne des Musulmans de France pour le vivre‐ensemble». Je vous cite deux passages essentiels : «Tout musulman doit avoir à cœur de se démarquer nettement de l’extrémisme. Les lieux de culte et les mosquées ne sont dédiés qu’à l’adoration de Dieu, et à rien d’autre. Les musulmans de France appellent les pouvoirs publics à conjuguer leurs efforts avec les familles musulmanes et les responsables religieux pour juguler les actions, subversives et radicales, qui ternissent l’image de la religion musulmane.» Le texte explique aussi que «Les musulmans de France sont inquiets par l’attractivité des thèses radicales auprès d’une fraction de la jeunesse en quête de sens, confrontée à des injustices et inégalités. Cette voie radicale, qui s’apparente à une déviance, profite des fragilités personnelles et recourt souvent à la manipulation et au dévoiement des textes sacrés. Il est impératif que les musulmans dans leur ensemble se mobilisent afin que la jeunesse puisse retrouver le chemin d’un islam apaisé ». Ce texte est essentiel et il est dommage de voir que les médias ne l’ont pas largement diffusé comme un appel au bien vivre ensemble.

Aux dires des professeurs francophones que je rencontre à Yad Vashem, l’antisémitisme s’affirme de plus en plus dans les classes, sans distinction d’origines ou de milieux sociaux culturels.

5) Est ce que les gouvernants de l’Europe ont d’une part la volonté et d’autre part la possibilité de Lutter contre ces phénomènes ?

Il faut un réveil. Il existe beaucoup de solutions pour lutter contre l’antisémitisme, premièrement l’éducation, mais je ne vois pas grand-chose à l’œuvre. Je pense qu’il s’agit d’une erreur d’intensifier l’éducation de la Shoah dès lors qu’un acte antisémite est commis. Il me semblerait plus judicieux d’apporter une meilleure connaissance du judaïsme. Beaucoup ont des propos antisémites sans avoir jamais rencontré un Juif.

6) Dans l’actualité ressente, M.Le Pen qui a le « vent en poupe » depuis la dernière élection au parlement Européen, « s’amuse » sur la toile et parle de vouloir organiser notamment une prochaine  » fournée » contre le chanteur juif P.Bruel ou dénonce encore les « origines juive » de l’épouse de Manuel Vals. Me Collard élu FN a été l’un des plus virulent à l’égard du vieux père de Marine dont nous connaissions toutes les « sorties » antisémites de ces 30 dernières années. Quelle est votre analyse Dct. Courouble Share?

La phrase de JMLP était contre tous les artistes qui se sont opposés au FN. Il est intéressant de voir que la polémique s’est davantage vocalisée sur P. Bruel. Néanmoins, au delà des terribles mots d’un vieux monsieur, alors que celui-ci essaye de se justifier, et que sa fille et les représentants du FN cherchent à dédiaboliser le FN, il est bon de rappeler que le FN a toujours eu un double langage vis-à-vis de la communauté juive, cherchant son vote d’une part, mais d’autre part ne brisant jamais complètement avec une extrême droite antisémite. Il faut être clair l’islamophobie est tout aussi grave que l’antisémitisme.

7) Quelle sont les réponses selon vous, que peut apporter l’État d’Israël aux juifs de la diaspora mis à part la Alya ?

Un bureau au ministère des affaires étrangères a été ouvert pour traiter uniquement des problèmes de l’antisémitisme dans le monde. Il s’est ajouté, depuis quelques années, un site israélien officiel qui a été lancé dans de nombreuses langues : “The Coordination Forum for the fight against anti-Semitism”. Le site permet de coordonner toutes les informations sur l’antisémitisme, comptabiliser les actes antisémites dans le monde et ainsi permettre une meilleure connaissance.

Israël est en état de vigilance constant dès lors qu’il s’agit d’antisémitisme. Regardez, le mois dernier, des juifs d’Ukraine ont été secourus par Tsahal alors qu’ils étaient en danger.