Regards
3 octobre 2023
Entretien sur la distorsion de la Shoah
Article de l’historienne Frédérique Schillo
« Pris en otage par l’extrême droite israélienne qui aimerait bien les faire taire, l’honorable institution de Yad Vashem et son directeur, Dani Dayan, se retrouvent au cœur de luttes d’influence internationales.
Laissez vivre Yad Vashem ! C’est le sens de la lettre ouverte adressée à Benjamin Netanyahou mi-septembre par plus de 120 enseignants et chercheurs en études sur la Shoah, parmi les plus réputés en Israël et dans le monde, pour protester contre la décision de son gouvernement de destituer Dani Dayan, directeur de l’institution depuis 2021. Cette levée de boucliers fait suite à un courrier adressé à Dayan par le ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, son ministre de tutelle, qui a fuité dans la presse. Yoav Kisch s’y montre très critique envers Dayan, l’accusant de « manquements graves » dans le processus de décision.
Que reproche-t-on à Dayan ? Officiellement, le différend vient de la présence de trois membres du Conseil d’administration de Yad Vashem, dont la nomination par le gouvernement précédent n’aurait pas été examinée par le comité de sélection : les anciennes députées Colette Avital (travailliste) et Shuli Moalem (Nouvelle Droite) et le rabbin Shaï Piron, ancien député et ministre de l’Éducation (Yesh Atid). Leur participation aux réunions du Conseil d’administration « est une faute grave », insiste Yoav Kisch dans sa lettre à Dayan, « qui remet en cause la légalité de l’ensemble des décisions prises lors des réunions de direction depuis votre nomination ».
Cependant, les médias israéliens rapportent d’autres éléments qui donnent à l’affaire un ton politique. Netanyahou n’aurait jamais accepté l’arrivée de Dayan, auquel il préférait Effi Eitam, un dirigeant nationaliste religieux. Quant à son épouse, elle aurait peu goûté la prestation de la chanteuse Keren Peles à la dernière cérémonie de Yom HaShoah, l’artiste ayant manifesté contre la refonte judiciaire. Yoav Kisch s’est aussi activé pour faire entrer la députée Likoud Keren Barak au Conseil d’administration de Yad Vashem afin qu’elle remplace un autre membre du Likoud. La commission chargée d’examiner les recrutements publics a retoqué ce choix, jugeant qu’il y avait un conflit d’intérêt entre les deux membres du Likoud.
Avec de telles cibles dans le dos, Dayan pourrait passer pour un trublion de gauche. Or il n’en est rien. L’homme a même longtemps eu les faveurs de Netanyahou. Ce natif de Buenos-Aires, émigré en Israël à l’âge de 15 ans en 1971, s’est fait connaître comme président du conseil de Yesha (représentant les colons de Cisjordanie) qu’il a transformé en véritable lobby durant les six années passées à sa tête, avant d’entrer en politique en 2013 pour soutenir Netanyahou. Il en a été récompensé par un poste d’ambassadeur au Brésil – qu’il n’occupera pas – puis de consul général à New York. À chaque fois, son nom a soulevé un tollé, les autorités locales comme les communautés juives répugnant à accueillir un colon farouchement opposé à la solution à deux États. Il a finalement quitté New York sous les bravos. C’est dire que l’homme, en plus de ses qualités professionnelles, sait s’attirer les sympathies par son tempérament chaleureux. »
Lire la suite Regards